Parmi les mémoires de vieillards numérisés dans le cadre du Programme pour les collectivités documentaire (PCPD) de Bibliothèques et Archives Canada (BAC), nous avons retrouvé l’histoire de François Allaire de Roberval. Cette entrevue a été conduite par Alphonse Parent le 27 juillet 1942. Une deuxième entrevue a aussi été faite un an plus tard afin de compléter certaines réponses.
François Allaire est le fils de Louis Allaire et le petit-fils maternel de Célestin Boivin, un des fondateurs de la ville de Roberval en 1859. Il a voyagé une partie de sa vie et s’est ensuite mis à défricher un lopin de terre en montagne pour se bâtir et cultiver la terre.
« Ah oui ! la plus grande partie de Roberval d’aujourd’hui, j’ai vu ça en bois debout. Vous voyez le plus beau cette heure. Dans notre temps, vous n’avez pas d’idée de la vie qu’on menait. Par exemple, les premiers pionniers du Lac-Saint-Jean, ils mangeaient bien plus de poisson que de lard, et très souvent, ils mangeaient leur poisson bouilli simplement dans de l’eau. Pour en faire rôtir, il nous fallait amasser la graisse de doré avec soin, et quand on en avait assez, c’est là qu’on mangeait notre poisson rôti. »
Défricher sa terre et construire sa maison n’a pas été facile. Il a passé quelques années dans une tente avant de se bâtir pour de bon.
« J’ai d’abord été deux ans tout seul faire mon chemin. Je couchais dans ma tente, visité bien souvent par les ours et les mouches. Ça m’a pris 200 voyages de bois pour paver une savane. Tu as pu le voir quand tu es monté l’autre jour. Je te dis que c’est de l’ouvrage cela. Tout le monde voulait me décourager, mais j’étais décidé à me rendre la montagne. Moi-même, je regrettais parfois d’avoir commencé. Alors, j’allais plus vite pour en finir au plus tôt. Ma femme m’a éprouvé deux ans. La fin, elle s’est dit : “je vais être obligée de monter le trouver, il est trop décidé pour revirer maintenant.” Et moi, content, je lui ai dit : “Si tu montes, je te bâtirai comme il faut.”Je me suis mis à bâtir à 61 ans. Je creusais ma cave la nuit la lueur d’un feu d’abattis que j’allumais auprès. En calant une grosse roche, je passai un cheveu de ma mort : la “velimeuse” s’est mise à se tasser sur moi ; j’ai juste le temps de me fouter dehors. Dans la suite, je me suis trouvé un tour pour enlever les autres roches comme ça : j’allumais un feu d’abattis dessus et je jetais ou chaudiérées d’eau. Tu entendais au bout de cinq minutes “crrric… crac… crric… crrac » et ma roche se fendait en plusieurs morceaux ; ça allait mieux comme cela. Dans ma tente, c’était rude. L’hiver, j’emplissais mon poèle de bouleau pour dormir la nuit. Je me réveillais quand ça devenait trop froid, je mettais une autre attisée, et je me rendormais. »
Les voyages que François Allaire a faits avant de s’établir à Roberval pour de bon l’ont amené loin dans le nord et dans le froid.
« J’ai voyagé un peu partout, avec Bruno Lévesque. Je me ‘sus’ rendu à 75 milles de la mer glaciale. On se faisait des ‘toasts’. Bien, elles brûlaient par-dessous et gelaient par-dessus. On mangeait avec nos mitaines bien épaisses et on était tout juste pour pas se geler les doigts. On allait examiner le bois et ses qualités avec des ingénieurs. On montait sur les plus hautes montagnes : avec les ‘longues-vues’ des ingénieurs, on distinguait très bien les sortes de bois un distance de 60 milles, assez pour remarquer le sapin et l’épinette sans les mîer. C’était des voyages dangereux : on était ‘assurés’ en passant à Québec pour aller là. On traversait des caps de glace, les ingénieurs devant nous et nous autres par derrière. Au Transcontinental, j’ai travaillé de Rivière-à-Pierre, à Roberval. Puis j’ai filé deux mois en Ontario, et quand les branches se sont rejointes, j’étais là. À 59 ans, j’étais tanné des voyages. D’autant plus que ça commençait être le temps de me placer si je voulais avoir un vrai chez nous ! »
En plus d’avoir une vie fascinante, François Allaire fait état de la rudesse du climat de l’époque ainsi que les difficultés qui allaient de pair avec la colonisation de la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean.
Extrait de la mémoire de François Allaire. Société historique du Saguenay, P002, S3, P324.