Il serait faux de croire que nos ancêtres étaient tous pacifiques et s’entendaient à merveille… Il en était à l’époque de même qu’aujourd’hui : des chicanes éclataient entre citoyens et certaines d’entre elles pouvaient prendre une tournure inhabituelle. Je vous présente un exemple d’une de ces chicanes mémorables. En 1849, un nommé Louis Mathieu, de Saint-Alexis de Grande-Baie, a l’idée saugrenue de vouloir se construire une maison sur le terrain de l’église.
Évidemment, les autres paroissiens ne l’entendent pas de cette façon et le somment d’arrêter ses travaux. Mais notre homme, qu’on peut facilement considérer comme une « tête de mule » – la preuve de cela se trouvant dans tous les registres où ses plaintes sont assez souvent rejetées – fait la sourde oreille à leur demande et refuse. Devant cet entêtement, les paroissiens viennent tout simplement démolir la maison. Mathieu recommence alors les travaux. Ulcérés, les citoyens reviennent à la charge; ils démolissent la maison et jettent les matériaux à la mer, espérant sans doute régler l’affaire une fois pour toutes! Grave erreur! C’était mal connaître Louis Mathieu : après avoir fait une liste de noms des citoyens impliqués, il s’embarque aussitôt pour Québec (à l’époque le trajet se fait en bateau, car il n’y a pas de route), fait un rapport au gouvernement et revient avec une vingtaine de policiers. Les citoyens sont faits prisonniers par ces derniers, ce qui, on le comprendra, cause une certaine commotion dans une colonie naissante! C’est l’intervention du père Honorat, plaidant en faveur des citoyens, qui dénouera la situation. Après une nuit de prison, les citoyens seront libérés. Et Mathieu construira sa maison près de la chapelle. Mais il ne se sera certainement pas fait des amis…
Louis Mathieu est probablement né dans le quartier St-Roch à Québec. C’est en tout cas là qu’il réside, ainsi que ses parents, lors de son premier mariage à St-Henri, comté de Lévis, avec Marguerite Blais le 21 mai 1833. Devenu veuf, il prend comme seconde épouse Léa Mathieu, cette fois dans la paroisse de St-Roch, le 23 août 1845. C’est donc 4 ans plus tard qu’on le retrouve dans la toute jeune colonie de Grande-Baie en train de vouloir se construire une maison à côté de la chapelle (on se rappellera que les premiers arrivants ont mis les pieds dans la région en 1838). En plus d’avoir une « tête de mule », notre Mathieu avait aussi un « front de bœuf », car il se serait même présenté contre un Price dans une élection, selon le témoignage d’Alfred Tremblay de Grande-Baie, recueilli en 1934 : « […] Il s’est présenté une fois contre David Price. Les Price, ça, ça gagnaient toujours leurs élections; ils ouvraient le hangar tout garni, et les gens votaient pour eux autres pour une poche de farine… Mathieu, je l’ai entendu répéter bien des fois, disait dans son discours aux gens de Grande-Baie : « Je sais que vous allez voter pour M. Price… Mais en élisant Price vous mettez une barrière à l’entrée du Saguenay pour 50 ans… » C’est pas mal ce qui est arrivé. »
On ne sait quand est décédé ce Louis Mathieu si entêté, la dernière mention que nous avons de lui est son testament de 36 pages (!) qu’il a écrit de sa main du 30 mars au 4 avril 1863, alors âgé de 49 ans, et où il s’excuse d’avoir pu offenser qui que ce soit par ses gestes. Quand il mourut, il ne voulut pas voir son propre curé et envoya chercher le grand vicaire Racine, mais ce dernier arriva finalement trop tard. On peut donc affirmer qu’assurément, cet homme ne fit jamais rien comme les autres, et ce, jusqu’à la fin!